Le 13 juillet 2013, George Zimmerman arrive devant les membres de la Cour de Justice de Floride. L’homme, jeune et corpulent, 28 ans, est représenté par Larry Klayman, un grand avocat, ancien leader d’un groupe d’activistes, lié à des causes conservatrices et fondateur de Judicial Watch. Le procureur de l’État de Floride, Angela Corey, annonce les charges retenues contre ce « voisin gardien bénévole de quartier » qui s’est rendu de son propre chef aux forces de l’ordre. Le prévenu est accusé du meurtre de Trayvon Martin, un jeune adolescent de 17 ans, mort dans une allée piétonne d’un très paisible lotissement clos. Jugé pour homicide au second degré, George Zimmerman, en costume-cravate, au bouc soigneusement taillé, souriant, écoute la défense.
L’affaire commence le 26 février 2012, à Sanford, en Floride. Trayvon Martin, grand et athlétique, tatoué de noms de membres de sa famille sur son corps, se destinait à devenir Pilote. Fin février 2012, Trayvon Martin s’est occupé, après sa troisième suspension au lycée, à rendre visite à son père, dont il était proche, et à Brandy Green, la fiancée de son père. Une famille recomposée qui résidait dans une communauté fermée, The Retreat at Twin Lakes à Sanford, en Floride.
Dans le lotissement « Retreat at twin lakes », suite à de fréquents vols et cambriolages, des voisins ont mis en place une veille de quartier en septembre 2011. George Zimmerman, s’autoproclame comme coordinateur du programme, armé, il était le « chien de garde » qui patrouillait avec son 4X4. Treize mois avant le meurtre, George Zimmerman aurait appelé la police treize fois, jusqu’à accusé à tort un enfant d’un vol de bicyclette.
Le dimanche 26 février, aux environs de 19h11, Trayvon Martin, sort acheter des skittles et du thé glacé à 7-eleven quand George Zimmerman l’aperçoit. Ce dernier prévient le 911 qui lui demande de ne pas bouger de son SUV. On saura plus tard, que le jeune Trayvon Martin était au téléphone avec sa petite amie quand il a été repéré par George Zimmerman, qui ne s’est pas identifié. Selon la jeune fille au téléphone, l’adolescent avait remarqué qu’il était suivi, il s’est mis à courir. Des propos ont été échangés entre les deux protagonistes avant que George Zimmerman ne tire dans la poitrine du jeune homme non armé. Trayvon Martin meurt à moins de cent mètres de la porte de son père, Brandy Green, là où il séjournait occasionnellement.
A 19 h 17, un officier de police, sur les lieux, découvre Trayvon Martin mort et George Zimmerman au sol, saignant, des blessures apparentes à la tête et au visage.
L’affaire Trayvon Martin déclenchera une série de manifestations dans toute l’Amérique, clivant encore plus, les relations entre racistes et anti-racistes. Barack Obama, président des Etats-Unis à l’époque, profondément touché, commentera le décès du jeune lycéen avec empathie : « Si j’avais un fils, il ressemblerait à Trayvon ».
Le samedi 13 juillet 2013, George Zimmerman, qui justifie son acte comme étant de la légitime défense, est acquitté de toutes accusations.
Consternées par le verdict, Patrisse Cullors, Alicia Garza et Opal Tometi vont réagir.
Ce soir-là, dînant avec un ami, la militante Alicia Garza est choquée émue, bouleversée en apprenant le verdict : « La seule chose dont je me souviens, de cette soirée, à part pleurer pour m’endormir, c’était ce sentiment d’impuissance que vivaient les personnes noires devant l’injustice et je me sentais incroyablement vulnérable, incroyablement exposée et incroyablement enragée », explique Alicia Garza au journal The Guardian en 2015. L’activiste est alors directrice des projets spéciaux du National Domestic Workers Alliance à Oakland, en Californie.
Alicia Garza, co-fondatrice du BlackLivesMatter
De retour chez elle, Alicia Garza publie ce post sur Facebook : « Je continue d’être surprise de voir à quel point les petites vies noires comptent. ». Et rajoute : « Les Noirs. Je t’aime. Je nous aime. Nos vies comptent. ».
Pour que la mort de Trayvon Marin et de celle d’autres victimes noires «réveillent le monde», Alicia Garza et Patrisse Cullors, copines depuis 10 ans, discutent, lors d’une conférence de militants, de ce qu’elles pourraient faire pour « apporter des changements dans ce racisme ancré dans la société américaine ».
Alicia Garza, Patrisse Cullors, et Opal Tometi, troisième co-fondatrice, (qu’elles rencontraient pour la première fois), achètent un nom de domaine, créent leur plate-forme numérique, ouvrent des comptes sur les médias sociaux et les trois femmes lancent le mouvement sur les plateformes. L’idée est d’encourager les internautes et lecteurs à raconter leurs histoires, à dénoncer des injustices de tous genres, à obtenir une aide sous toutes formes, être à l’écoute des victimes 24h/24, en utilisant l’outil, la formule #BlackLivesMatter.
Le Black Lives Matter (BLM) est né.
Alicia Garza
Partout aux etats-Unis, des manifestations ont éclaté le soir même du verdict de George Zimmerman, et la première manifestation (proBLM) a eu lieu à Los Angeles partant de Rodeo Drive à Beverly Hills, raconte une militante :
« Le jour où George Zimmerman a été acquitté, nous sommes tous allés au parc Leimert. C’est là que tout le monde est allé sans même l’aide de Facebook. Les gens se pressaient, s’étreignaient de tristesse sur place. Puis nous avons décidé de marcher. Un autre organisateur voulait se déplacer vers le sud sur le boulevard Crenshaw. Je tenais un mégaphone et je lui ai crié: « Allez vers le Nord! » Si vous allez vers le Sud dans des quartiers noirs, personne ne se souciera de cette manifestation. Si vous allez vers le Nord dans des quartiers plus blancs et plus riches, ils se réveilleront, rapporte dans The American Prospect, la militante Melina Abdullah, co-fondatrice de la section Black Lives Matter de Los Angeles.»
« Nous avons commencé comme une plate-forme et un espace pour développer une communauté et partager les idées», rappelle Opal Tometi au magazine américain The New Yorker.
Opal Tometi
Dernier fait d’armes quand vendredi 5 juin 2020, en marge de l’Affaire George Floyd, le collectif Black Lives Matter DC a élevé sa voix lorsque le maire du district de Columbia Muriel Browder a baptisé un tronçon de la 16e rue qui mène à la Maison Blanche #Black Lives Plaza. Dans le même temps, des employés du service des travaux publics de DC peignaient #BLACK LIVES MATTER en lettres jaunes géantes sur le sol, des lettres visibles depuis la Maison Blanche où siègent les collaborateurs et le président Donald Trump.
« Il y a des gens qui ont soif d’être entendus et d’être vus, et de voir leur humanité reconnue, et nous avons eu l’occasion d’envoyer ce message haut et fort dans une rue très importante de notre ville. Ce message est destiné au peuple américain, que l’humanité noire est importante. » a déclaré Muriel Browder, sur NBC News. Pour le mouvement, cette sortie du maire est faite dans le but « d’apaiser les libéraux blancs », mais pas de répondre à leurs demandes.
« Financer la police (defund police) ne signifie pas nécessairement la dissolution de toutes les forces de police ou le non-paiement de policiers pour faire leur travail (…) notre argument est … ils peuvent commencer à se départir des forces de l’ordre et à réinvestir dans nos communautés. » insiste Opal Tometi.
Patrisse Cullors
« Oui, Blak Lives Matter se concentre sur les vies noires spécifiquement, non seulement en révélant toutes les affaires en cours, mais à travers de nombreuses voies de réforme, de semaine en semaine, de mois en mois, tout le temps qu’il faudra. »
(#BlackLivesMatter).
« Nous faisons beaucoup de travail avec le Mouvement pour la vie noire avec un certain nombre d’organisations et d’individus et de différents dirigeants qui font partie de cette formation. Nous avons demandé le financement de la police, un moratoire sur le loyer, un moratoire sur les hypothèques et les services publics. Nous avons besoin de ne pas nous couper des services publics, de leur lumière, leur eau et leurs besoins essentiels. »
Le magazine E! qui trace l’histoire de ce mouvement, a déclaré dans un communiqué du 31 mai, être : « solidaire de la communauté noire contre le racisme systémique et l’oppression subis chaque jour en Amérique. Nous devons à notre personnel noir, nos talents, nos partenaires de production et nos téléspectateurs, d’exiger des changements. Se taire, c’est être complice. #BlackLivesMatter. »
«Lorsque nous avons commencé Black Lives Matter, il ne s’agissait pas uniquement de brutalités policières et d’exécutions extrajudiciaires. C’était une étincelle, mais c’était très intentionnel pour nous, de parler de la façon dont les vies noires sont abrégées dans tous les domaines. Vous pouvez parler de la qualité de notre vie en termes de logement et d’éducation et des systèmes de soins de santé et de la pandémie et de ce que nous voyons là. Donc pour nous, c’est plus complet que juste le système de justice pénale et la police. » (Black Lives Matter)
Dorothée Audibert-Champenois/Facebook Twitter Instagram C’news actus Dothy
Images BLM – Source E! The Guardian – NBC news – The New Yorker/Head Topics/Ted.com/Mpr News/Abc News