
Le madras à l’origine, des Indes aux Antilles
Nommé d’après la ville côtière indienne maintenant connue sous le nom de Chennai, Madras est l’endroit où les métiers à tisser ont commencé à filer le tissu au 13ème siècle. Madras est aussi la ville façonnée de manière indélébile par la domination coloniale. Au XVIIe siècle, la Compagnie britannique des Indes orientales a occupé Madras, l’établissant officiellement comme port de commerce et déclarant un monopole sur les textiles fabriqués en Inde.

Une martiniquaise et son éventail en madras (manif du CM98 en 2018) – ©️Blacknews Page
Au cours des trois siècles suivants, les Britanniques commercialiseront le tissu à travers le monde, l’expédiant vers leurs colonies et d’autres possessions impériales, y compris les colonies françaises et espagnoles en Afrique, dans les Caraïbes et dans le Pacifique. Le tissu coloré, résistant était parfait pour les climats humides et le dur labeur de ceux qui vivaient sous la domination coloniale. Des paysans et tisserands indiens qui ramassaient le coton et tissaient le tissu, aux millions d’ouvriers bruns et noirs et aux esclaves qui l’enfilaient pour travailler dans les champs, les plantations et les routes à travers le monde, le tissu Madras reliait les sujets coloniaux à travers l’espace et le temps. Leur sueur, leur sang et le tissu qui a tout absorbé étaient immensément profitables pour l’empire. Les chercheurs estiment que les Britanniques se sont enrichis pour environ 45 billions (45 milliards) de dollars d’Asie du Sud. Les textiles de coton étant l’une de leurs principales exportations.

Exposante au Madras Day 2022 à Paris – ©️ Blacknews Page
Souvent, le tissu voyageait sur les mêmes navires transportant des Africains volés en esclavage. Parfois, il était même utilisé comme monnaie dans le commerce des esclaves. Ce sont là les perversions opérées par l’Empire : 《un morceau de tissu vaut autant qu’une vie humaine》. Un tissu destiné à libérer les corps burinés, leur permettant de se déplacer avec fluidité dans les climats chauds, était désormais utilisé pour asservir les corps noirs.
Au Nigéria, où le tissu est connu sous le nom d’injiri, ou 《George》, le tissu est sacré dans la culture du peuple Kalabari. Lors de la cérémonie de baptême d’un nouveau-né, les pères offrent à leurs bébés du tissu madras non coupé, marquant l’enfant comme le leur et les initiant à la vie de Kalabari. Le tissu joue également un rôle important dans la mort de Kalabari, avec les personnes en deuil et la maison du nouveau mort drapées de George, un rituel pour les introduire dans le royaume des ancêtres.

Des poupées habillées du tissu Madras (Madras Day 2022) – ©️ Blacknews Page
Dans l’Atlantique Nord, les femmes des Caraïbes en réponse à la simplicité et à l’obéissance exigées des peuples d’ascendance africaine par les élites blanches dans les lois noires de la région, elles se sont parées de façon rebelle de coiffes en madras aux couleurs vives.
