Josephine Baker, son cabaret «Chez Josephine» n’a pu être sauvé

Le cabaret de Josephine Baker dans le Montmartre artistique de Paris n’a pas été sauvé. Alors qu’il se situe à deux pas du célèbre Moulin Rouge, ce petit bout d’héritage de Joséphine Baker a cessé de plaire. Pour préserver et classer ce lieu si symbolique, Brian Scott Bagley, un directeur artistique noir-américain, a tenté de convaincre. Mais sans succès. Il raconte ses péripéties dans un journal d’Outre-Atlantique.

Paris. Nous sommes le 14 décembre 1926. Après la Revue N* au Théâtre des Champs-Elysées, Joséphine Baker décide d’ouvrir son propre cabaret. Elle le nomme «Chez Josephine». Le palace est situé dans une rue du 9ème arrondissement. Il est géré par son amant de l’époque, Pepito Abatino, le gigolo italien et comte autoproclamé.

Dans l’ouvrage «Josephine Baker dans l’art et la vie : l’icône et l’image», l’écrivain martiniquais Benjamin Jules Rosette parle de la première icône noire. Selon l’acteur et dramaturge, Joséphine Baker faisait souvent son entrée à minuit. Après ses spectacles dans les plus grandes salles de musique de la capitale, l’américaine soignait son arrivée au cabaret. Le grand journaliste de l’entre-deux-guerres Marcel Sauvage raconte. « Joséphine Baker, vêtue de façon flamboyante de robes fluides et de bijoux étincelants, se promenait dans le club. » écrit-il en 1949.

Josephine amuse le Tout-Paris

«Je ne me suis jamais autant amusée. Je fais des blagues, je caresse la peau des hommes chauves, je joue avec la barbe des messieurs. Regardez ces messieurs dans la journée. Ils ne rient sans doute pas autant », lit-on dans «les mémoires de Josephine Baker». «Tout le monde fait le Charleston. Je les divertis tous, les serveurs, le cuisinier, le caissier, les chasseurs, la chèvre et le cochon… Et moi, je danse, je danse. » Des célébrités fréquentent le cabaret. La chanteuse Edith Piaf et le poète Jean Cocteau figurent parmi les invités de l’établissement.

«Chez Josephine» faisait le lien entre la communauté afro-américaine et antillaise.

L’historien et professeur français Tyler Stovall, dans son livre «Paris Noir», note que le club Baker était populaire. Et qu’il «accueillait à la fois les membres de la communauté afro-américaine et les doyens de la vie nocturne parisienne».

Carton publicitaire de 1930

«Chez Josephine» ne sera pas sauvé

2017. Plus de 90 ans plus tard, le cabaret «Chez Josephine» est transformé en bar branché. Et devient Le Carrousel. Ses principaux clients sont aujourd’hui des milléniaux de Montmartre. Le week-end, des centaines de Parisiens et de touristes sont dans la discothèque. Ils écoutent de la musique, boivent des cocktails et dansent.

Nous sommes à la fin de l’année 2017. Brian Sott Bagley est le premier meneur de revue noire du crazy horse. L’Afro-Américain vit à Paris depuis 10 ans. Il s’entend dire que «Chez Josephine» allait mettre la clé sous la porte. L’établissement où se produisait Josephine serait transformé en bar.

Brian Bagley connaît l’endroit. Il y a travaillé entre 2015 et 2017. Brian Scott Bagley a joué dans « A la recherche de Josephine». Alors qu’il est en déplacement en Italie, le meneur de revue reçoit un appel. Paniqué, un ami danseur l’informe de la fermeture imminente de l’établissement.

Les vains efforts du premier directeur artistique du cabaret de Joséphine Baker

Brian Scott Bagley réagit immédiatement. Il a des connaissances qui pourraient mettre fin à la vente. Selon lui, la notoriété de Joséphine Baker suffirait pour arrêter la transaction. Brian Scott Bagley espère que « Le bâtiment pourrait être transformé en musée ou en cabaret».

Il lance une pétition sur Change.org pour faire pression sur les autorités françaises. La pétition et la quête de Brian Bagley pour sauver le bâtiment échoue. Déterminé, le directeur artistique contacte la Mairie de Paris. En vain. L’immeuble est finalement vendu à l’homme d’affaires Thibaud Harle.

Il n’aura pas tout perdu dans cette bataille. Le militantisme de Brian Bagley payera. Le 3 juin 2019, la Ville de Paris dévoile une plaque. À quelques mètres du vieux cabaret de Josephine Baker, la plaque signale les moments forts du cabaret. Elle est sensée rendre hommage à Josephine Baker.

Un héritage perdu

Une plaque au lieu d’un musée. Déçu. Brian Scotte Bagley voulait préserver l’héritage Josephine Baker. La plaque n’est pas suffisante pour honorer une si grande dame, tempête le meneur de revue. Brian Bagley ne comprend pas. Et de nombreux fans de Josephine Baker également.

Brian Scott Bagley

Dorothée Audibert-Champenois – Facebook Blacknews Page – Cnews ACTUS Page – Images ImagoImages

 

Joséphine Baker, Paris, l’Amérique et le reste du Monde

Née Josephine Freda MacDonald à l’hôpital des femmes de St. Louis dans le Missouri, le 3 juin 1906, Joséphine est surnommée «Tumpie» parce qu’elle était un bébé potelé. Sa mère, Carrie MacDonald de Caroline du Sud était moitié noire, moitié indienne Apalachee. Son père Eddie Carson était un métis d’un colon espagnol et d’un descendant d’esclave. Ils formaient un couple d’artistes populaires, l’un percussionniste dans un groupe  et l’autre, chanteuse, comédienne et danseuse dans la région de Saint-Louis au début des années 1900.  Le soir dans des clubs, les spectateurs applaudissaient les performances du Ragtime with Eddie et Carrie.

À la naissance de son frère Richard, le père de Joséphine Baker abandonne sa famille et les laisse, seuls presque sans ressources avant d’épouser une autre prétendante. La mère de Joséphine, Carrie MacDonald épousera plus tard Arthur Martin avec qui elle aura deux filles, Margaret et Willie Mae. À cette date, Joséphine a 11 ans.

En 1918, la jeune Joséphine a des prédispositions pour la danse.  Elle a du talent, joue et chante dans le groupe qu’elle crée «The Angel of God». Tantôt serveuse, tantôt danseuse à The Old Chauffeur Club, la petite Tumpie a grandi.  En 1919, on lui offre l’opportunité de rejoindre The Jones family Band et sa mère fait juste une mise en garde, au cas ou ! : «Ne lui mettez pas trop de choses dans la tête, car elle est destinée à devenir laveuse comme moi».

Joséphine abandonne l’école, fait ses valises et, à l’âge de 13 ans, elle s’en va sur les routes américaines, la fille de Carrie MacDonald chante et danse au Washington Théâtre, elle est heureuse. Elle se produit à la Nouvelle-Orléans puis  en Pennsylvannie en 1921. Joséphine épouse Willie Baker, un employé de chemin de fer de la compagnie Pullman, il a 25 ans. Prenant le nom de famille (de son deuxième des cinq maris) Willie Baker, Josephine Baker est en tournée jusqu’à leur séparation en 1921. Plus tard cette année-là, elle se produira au Shuffle Along. Boston, Milwaukee, Philadelphie, Chicago, la fillette est saluée comme la révélation du groupe.

Ses premiers voyages seront difficiles car elle était considérée comme trop jeune et trop maigre pour être une choriste. Joséphine devient l’habilleuse de l’artiste populaire Clara Smith avant qu’on ne lui donne sa chance.

Après Shuffle Along dans le casting d’Eva Spencer à Chicago, Joséphine Baker se produit dans la comédie musicale Chocolate Dandies en 1924, et s’enorgueillit de critiques élogieuses pour ses prestations comiques, elle exulte. 1925, la très jeune chanteuse s’embarque sur le paquebot The Berengaria qui se dirige vers l’Europe. Au cours de la traversée, elle s’entend dire que « Mistinguette » est la reine de Paris, que la vie est vraiment différente en Europe et qu’on apprécie beaucoup la musique et la culture noire.

Le 2 octobre 1925, Josephine Baker est au Théâtre des Champs-Elysées, Avenue Montaigne, elle ouvre  «La Revue Nègre», le designer Paul Colin l’habille très légèrement.  Un succès. Picasso, Van Dongen, Jean Cocteau, Paul Poiret, l’acclament. Joséphine Baker séduit le Tout-Paris. Elle joue des fantasmes de la femme noire pour des européens épris d’images sensuelles et exotiques. Tumpie apporte en plus le jazz et le Charleston à Paris. Ses performances décomplexées et ses costumes minimalistes vont parfaire cette image exotique. 1926, Joséphine mène la revue des « Folies Bergères »,  rue Richer dans le 9ème arrondissement.  En 1930, elle est au « Casino de Paris », rue Clichy et en 1931, Joséphine Baker chante « J’ai deux amours, mon Pays et Paris » qui devient son enregistrement le plus réussi et le plus emblématique de son parcours parisien.

Au cours de la décennie suivante, Joséphine Baker apparaît dans trois films, La sirène des tropiques (1927), ZouZou (1934) et Princesse TamTam (1935) qu’elle tourne en Tunisie. Ernest Hemingway, F. Scott Fitzgerald, Pablo Picasso, Langston Hughes et Christian Dior se sont tous désignés comme étant les fans de Joséphine Baker.

Le succès de Joséphine Baker en Europe n’aura pas de résonance aux États-Unis. Elle y retourne en 1936 sans toucher le public américain, Joséphine baker dira, avoir été victime de discrimination raciale dans son pays. Exclue de nombreux hôtels et refusée de service dans les clubs et restaurants, Joséphine Baker proteste et renonce à sa citoyenneté américaine. L’artiste s’installe définitivement à Paris en 1937.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Joséphine Baker utilise sa renommée pour recueillir des renseignements pour la Résistance française pendant l’occupation nazie. Sa couverture d’artiste célèbre lui permet de transporter des documents sensibles dans des pays neutres et des zones occupées alliées, elle écrit parfois à l’encre invisible sur des partitions. Après la guerre, Josephine Baker est décorée. Le Général de Gaulle lui offre La Croix de la Lorraine, la France entière reconnaît sa contribution durant la période d’occupation allemande.

Joséphine Baker épouse le chef d’orchestre Jo Bouillon en 1947 au cours d’une cérémonie nuptiale dans la chapelle de Milandes dans le Périgord. L’artiste américaine ne peut enfanter. Elle décide avec son nouvel époux d’accueillir des enfants dans Le Château de Milandes qu’elle loue.

La châtelaine adopte 12 orphelins d’ethnie différente : «Ils sont le symbole de la paix. Ensemble nous formons  a Rainbow Tribe» se plaisait à répéter l’artiste.  Puis les difficultés arrivent et les revenus de Joséphine Baker ne lui permettent plus de faire vivre sa tribu.  En soutien, son ami Jean-Claude Brialy met son Club à sa disposition. Brigitte Bardot plaide sa cause dans les médias, Anna Magnani (actrice italienne), Nathalie Delon et Françoise Sagan sont présents lors d’un Gala de levée de fonds, organisé en 1969.  Paris est à ses pieds. À Monaco la princesse Grace l’invite, ses enfants et elle, au Gala sur la Riviera. Son Jo, divorce et Joséphine est mère célibataire.

En août 1963, Jane Baker était l’une des deux seules femmes à Paris, à s’exprimer lors de la La Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté. Martin Luther King fit un discours historique.

1975, elle a soixante dix ans,  projette une tournée de six mois et organise un show  à Bobino dont la mise en scène est signé d’André Levasseur. Alain Delon, Sophia Loren, Carlos, Line Renaud, Mick Jagger, la princesse Grace de Monaco ou encore l’actrice Arletty n’ont manqué ce concert à Bobino. «Me revoilà Paris, ça fait longtemps qu’on s’est vus. Dis comment me trouves-tu?». Pendant qu’elle est sur scène, un message de l’Elysée l’interrompt, le président de la République Valérie Giscard D’Estaing lui rend hommage. Ce sera son dernier spectacle.

Ce soir-Là, Joséphine termine son show en disant : « Here I am, Paris, Paris, I’m back ! Here, no matter my age, maybe I’ll even die here on stage!» (Je suis ici à Paris,  je suis de retour.  Qu’importe l’âge, même si je meurs sur scène ! )

Le lendemain du spectacle donné en son honneur, Joséphine ne se réveille pas.  Victime d’une hémorragie cérébrale, il était 14 heures, quand Jocelyne Coffre, la secrétaire  de Joséphine Baker a appelé les secours. Sa soeur, Willie Mae Martin,  a refusé l’acharnement thérapeuthique, Josephine Baker décède à l’âge de 69 ans à Paris le 12 avril 1975. La fille de Carrie MacDonald est morte.

La cérémonie religieuse a lieu à l’Église de la Madeleine. Des milliers de parisiens descendent dans les rues pour la saluer une dernière fois.  Les Forces françaises libres lui rendent hommage, les associations anti-racistes et de nombreuses célébrités également remercient la star américaine et française. « Paris montre son amour à celle qui a tant donnée à la France ».

Enterrée à Monaco, Joséphine Baker sera la première Américaine à recevoir les honneurs militaires français lors de ses funérailles.

Le Château de Milandes est désormais labellisé «Maison des Illustres en 2012», Josephine y vécut plus de 20 ans avec ses enfants adoptifs.  Aujourd’hui, il est aménagé en musée consacré à la carrière et à la vie de Joséphine Baker.

Dorothée Audibert-Champenois/Facebook Twitter Instagram C’news Actus Dothy
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